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REVISTA LATINOAMERICANA DE ENSAYO FUNDADA EN SANTIAGO DE CHILE EN 1997 | AÑO XXVIII
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Entretien avec Pierre Mertens, écrivain belge.

por Guillermo García Campos
Artículo publicado el 02/10/2007

Pierre Mertens (né le 9 octobre 1939) est un écrivain belge de langue française, juriste, spécialiste du droit international, directeur du Centre de sociologie de la littérature à l’Université Libre de Bruxelles et critique littéraire au journal Le Soir. En 1989, il est élu membre de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique et nommé chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres de la République française.

Libres:
·  L’Inde ou l’Amérique, Seuil, 1969
·  Le Niveau de la mer, L’Âge d’Homme, 1970
·  L’Imprescriptibilité des crimes de guerre et contre l’humanité, Édition de l’Université de Bruxelles, 1974
·  Les Bons offices, Seuil, 1974
·  Terre d’asile, Grasset, 1978
·  Nécrologies, Les Éperonniers, 1979
·  La Fête des anciens, Les Éperonniers, 1983
·  Terreurs, Talus d’approche, 1983
·  Perdre, Fayard, 1984
·  Berlin, Autrement, 1986
·  Uwe Johnson, le scripteur de murs, Actes Sud, 1989
·  L’Agent double, Complexe, 1989
·  Lettres clandestines, Seuil, 1990
·  Les Chutes centrales, Verdier, 1990
·  Les Phoques de San Francisco, Seuil, 1991
·  Flammes, théâtre, Actes Sud-Papiers, 1993
·  Une paix royale, Seuil, 1995
·  Collision et autres nouvelles, Babel, 1995
·  Tout est feu, Alice, 1999
·  Perasma, Seuil, 2001

 

GGC : Pierre Mertens représente pour nous, latino-américains, l’un des sommets de l’intellectualité belge, mais aussi l’un de ces créateurs européens qui a gardé une forte relation avec l’Amérique latine, relation qui remonte aux années sombres de notre histoire, aux années 70-80 précisément.

Pierre, d’où est venue cette relation ?

P.M. : Je crois que forcément et c’est tout à fait logique, ma première approche du monde latino-américain, a été livresque. Essentiellement culturelle. Elle procédait d’une espèce d’émerveillement pour les courants littéraires du cône sud-américain : la découverte de Borges, Cortázar, Sabato, Vargas Llosa, García Márquez, bientôt de Fuentes, Scorza et quelques autres, Neruda, bien entendu, et puis, avec le temps, elle s’est affinée, s’est particularisée, concentrée sur l’Argentine, le Chili et le Pérou. C’est-à-dire que les écrivains qui m’impressionnaient le plus, c’étaient Neruda, Donoso, Scorza, Vargas Llosa, les grands Argentins et essentiellement Cortázar avec lui, cela a même évolué de façon décisive, puisque je l’ai rencontré à Paris, surtout à partir de la parution de mon roman «Terre d’Asile» qu’il a accueillie avec beaucoup de chaleur. Des rapports d’amitié profonde se sont institués et chaque fois que j’allais à Paris, j’allais chez lui ou chaque fois que nous passions des vacances en Provence, nous nous rendions visite comme des voisins et cela s’est polarisé en 1979, je me souviens d’un événement majeur ; nous participions ensemble à un colloque sur l’exil qui s’est déroulé à Caracas, où j’ai trouvé que le discours que Julio a tenu sur l’exil était l’un des plus beaux, des plus profonds, des plus graves que j’aie entendu. L’attitude et l’évolution politique de Julio m’a toujours séduit parce que cet homme, qui a pris le chemin de l’exil sans y être vraiment forcé et pour des raisons où l’idéologie n’intervenait pas vraiment, malgré lui et avec le temps, s’est de plus en plus politisé, voyant les dictatures s’installer dans son pays et au Chili. Il n’avait pas cette vocation, mais cette vocation l’a rattrapé en cours de route. L’amitié avec Cortázar a vraiment beaucoup compté. Et je conversais de cela avec lui, et à travers lui de la situation de son pays et celle de l’Amérique latine en général, le rapport au castrisme, etc. Tout cela m’a de plus en plus intéressé.

GGC : À travers, d’abord, cette phase purement littéraire, que percevais-tu exactement ?

P.M. : Quand je dis purement littéraire, il faut bien s’entendre; il était impossible d’avoir une approche purement littéraire de la littérature latino-américaine, puisque c’était dans le meilleur sens du terme, la plus politisée de la planète, c’est-à-dire à une époque où tout le monde se désengageait en Europe notamment, sauf à mon avis les Italiens, les Espagnols, et les Allemands, et où en France, on assistait à un reflux de l’engagement. De même, ne parlons même pas de l’Angleterre, sauf un peu dans le théâtre, où des jeunes gens en colère créaient certaines choses. Bien, disons que l’Amérique latine devenait le modèle de la possibilité de créer une littérature à la fois extrêmement poétique et lyrique mais aussi, très enracinée dans le combat social. Je le trouvais particulièrement transcendé, chez les grands romanciers, comme chez les grands poètes et c’était une leçon pour le monde entier ; ce qu’on appelait le «boom latino-américain» fut un modèle pendant longtemps encore, pour la littérature universelle, ainsi que pour celle de peuples encore mal connus, celle des peuples africains en particulier, qui ont sûrement subi une influence via Haïti et les Caraïbes ; je sais que tous les écrivains africains que j’ai rencontrés par la suite, ont été influencés par l’exemple latino-américain.

GGC : Ensuite, il y a eu, si je peux l’appeler ainsi, eu une période plus politisée, non ?

PM : Oui, à force d’écrire des articles littéraires entre guillemets dans des journaux ou d’en parler à la radio, etc. Elles étaient, forcément, réverbérantes toutes les leçons que donnait cette littérature, alors, je me suis affilié à des organisations humanitaires, j’avais un poste important à la ligue belge des droits de l’homme, j’étais un observateur assez régulier à l’association internationale des juristes démocrates, et je travaillais aussi occasionnellement avec «Amnesty International» ; c’était l’époque où les deux dossiers qui m’intéressaient et qui me captivaient le plus, étaient le grec et le chilien. Et par la force des choses, j’ai été envoyé au Chili.

GGC. : Du fait de notre résidence en Europe et en Belgique plus exactement, nous sommes en relation directe avec un certain rationalisme, chose qui n’a pas été simple ni facile d’intégrer, j’aimerais que tu m’expliques comment était cette confrontation avec ce matériel qui te parvenait de là-bas, que provoquait-il en toi, ce côté, en même temps poétique et «sauvage» que possède la littérature latino-américaine, toi, qui es un intellectuel formé et structuré dans cette notion de rationalisme ?

PM : Je crois que pour les Européens —ce n’est pas par hasard que le boom latino-américain a fasciné— l’Amérique latine apparaissait comme un prolongement de l’Europe, une espèce de seconde chance. Menacée d’essoufflement, la littérature européenne avait parfois tendance, après l’existentialisme, à s’assécher, à devenir trop conceptuelle, un peu abstraite, une littérature de campus universitaire et tout à coup, l’efflorescence d’écrivains de tempéraments très différents, que dans un premier temps nous recevions comme appartenant à une même famille, et puis, avec le temps, on a vu à quel point Márquez était différent de Vargas Llosa, différent de Fuentes, de Carpentier ; il est évident qu’on commençait à percevoir que ce n’était pas un pays, mais un archipel. Alors, par tempérament, on était plus attiré par certaines îles que par d’autres. C’est un peu cela. Carpentier par exemple, est un homme qui appartient autant à l’Europe qu’à l’Amérique latine. Tous ses grands romans sont écrits par une espèce d’homme extrêmement complice de l’Europe. Les chefs d’œuvre de Cortázar, essentiellement : Marelle et le livre de Manuel, sont exactement la représentation ultime d’un métissage absolu entre l’Europe et l’Amérique Latine. Je trouve que les génies argentins et français sont complètement liés et complices de façon consubstantielle, ils sont, je dirais, presque incestueux. Cela représentait pour nous un grand espoir, l’occasion d’un second souffle, surtout, celle de ne plus nous enfermer dans une relation trop étroitement intellectuelle à la littérature, à la poésie mais, une occasion de ré enracinement. Le voyage en Amérique latine, que ce soit par l’imaginaire, par l’esprit ou le voyage littéral, devenait presque une excursion obligée.

GGC : Pierre, tu sais que nous avons vécu un long processus, long, parce qu’il fallait d’abord se constituer, construire nos propres pratiques culturelles, notre langage, sur la base de la culture coloniale. On a vécu une relation parfois conflictuelle avec le centrisme européen, mais on a su élaborer avec tous ces éléments en place, ce que nous sommes. Nonobstant, subsistent des choses qui nous sont encore antagoniques. Je crois que les années 60 et 70, notamment, ont montré que toute une partie de cette intellectualité dont on parle, qui se disait engagée, malheureusement, n’est pas parvenue à nous communiquer une pensée plus critique, plus analytique de nos réalités et de notre histoire. Alors, même si cette littérature reste fascinante pour nous latino-américains, nous constatons que c’est comme si on avait vécu dans une sorte de pensée unique. Est-ce que dans cette passion que tu t’es découverte, à un moment donné, ça ne t’a pas étonné cette absence, qui a fait tellement défaut ?

PM : A priori, je suis méfiant à l’égard du lyrisme et en cela, je partage les a priori, en tous les cas, les convictions de mon ami Milan Kundera. Kundera a magnifiquement parlé du danger du lyrisme ; voyant dans certains lyrismes révolutionnaires, une menace pour l’objectivité des choses, une menace réelle, une espèce de passerelle vers un certain totalitarisme et donc, qu’il y a un très grand danger de se laisser percer par l’épopée, par la dimension épique des événements, jusqu’à chavirer dans la fascination pour des solutions totalitaires, sectaires, dogmatiques. Donc, je crois qu’il y a une nécessaire cohabitation entre un néo-lyrisme, un lyrisme qui aurait fait table rase dans ce qu’il y a de pire dans le stalinisme et ne parlons pas du fascisme, mais qui ressusciterait quand même une part d’un lyrisme vierge de toutes ces tentations perverses, avec une approche critique des événements.
Je crois que chez les grands latino-américains, tu as exactement la cohabitation des deux. Par exemple chez Cortázar c’est tout à fait évident, c’est le modèle même de cela, à peu près toute son œuvre romanesque n’est faite que de cela, c’est remarquablement ironique et cela ne sacrifie en rien la couleur du pays, il ne le décolore pas, mais il l’évalue à l’aune de son intelligence. Ce n’est pas par hasard, que ces deux hommes sont devenus français le même jour. J’ai assisté à la cérémonie, on déjeunait ensemble, c’est une chose que je raconte rarement. Tous les deux étaient très tristes. On était là, soi-disant pour fêter la naturalisation française de Milan et de Julio, intervenue le même jour et je m’apercevais que tous les deux étaient au fond, très mélancoliques. Ils considéraient cela comme une nécessité personnelle, parce qu’ils avaient été persécutés, ils l’auraient été, mais en même temps, c’était une défaite, c’était quelque part, un petit désastre et ils ne le vivaient pas bien du tout, contrairement à ce qu’on pouvait croire. Donc, quant à ce grand accueil que la France mitterrandienne leur a fait, ils l’ont vécu de manière ambiguë.

GGC. Mais revenons à toi. Comment as-tu réussi, en étant de cette école « européenne », à tenir ou à maintenir cet équilibre nécessaire pour pouvoir continuer à créer, cet équilibre entre : pensée critique, fiction, le nécessaire besoin de la poésie et l’expression de tout cela ? C’était difficile ?

PM : Cela a été parfaitement naturel, cela s’est imposé comme une évidence. J’appartiens à une littérature qui n’a pratiquement pas créé un seul modèle d’approche politique jusqu’à la fin des années 60. Si tu étudies la littérature belge de l’entre-deux guerres, ou de l’immédiat après-guerre, c’est une littérature qui n’est pas sans vertu, qui n’est pas sans mérite, mais où le talent ne s’inscrit que dans une perspective, je dirais presque provinciale et en même temps, avec un grand attrait pour l’étranger, et une très grande absence de regard sur soi-même, qui va jusqu’au masochisme, la haine de soi, c’est-à-dire que l’écrivain belge se méfie fort de lui-même, il va voir ailleurs s’il y est, comme on dit, il va beaucoup plus volontiers, dans ces années-là, s’emparer de la guerre d’Indochine, de la guerre d’Algérie, que de ses propres luttes sociales de la Belgique ou de la décolonisation.

GGC : A quoi cela tient-il ?

PM : Il y a une espèce d’humilité exagérée.

GGC : Une fausse humilité ?

PM : Non, elle n’est que trop vraie, il y a une espèce de doute d’avoir une histoire, les Belges ne se reconnaissent pas comme belges, les fameuses luttes communautaires viennent de l’impossibilité pour beaucoup, de se revendiquer comme belges. La Belgique est perçue par beaucoup, comme une espèce d’accident de l’histoire auquel ils n’appartiennent pas, c’est-à-dire, ils sont par malheur pour eux-mêmes, nés ici donc, ils doivent l’assumer, mais ils le font avec méfiance et dérision. Ce qui fait qu’il y a beaucoup de littérature «dérisionnante» en Belgique. Je suis toujours étonné du nombre d’écrivains, de poètes, de chansonniers, qui «dérisionnent» la Belgique. Je crois qu’il y a peu de pays qui ironisent à ce point leur propre situation. Cela peut apparaître sympathique dans un premier temps mais c’est quand c’est excessif, quand ça devient de la « selbsthass », comme disent les Allemands, c’est-à-dire ce qu’il y a de pire dans le masochisme, c’est-à-dire la haine de soi, qui est dévastatrice, destructrice et qui surtout est une formidable école d’irresponsabilité. C’est le meilleur moyen de ne jamais rien faire dans sa vie, de ne pas se politiser, de n’appartenir à rien, de flotter sur l’écume des choses, de surfer sur une histoire inexistante.

GGC. Crois-tu que cette histoire belge soit inexistante ?

PM : Moi, je dis le contraire. J’ai appartenu à la première génération qui s’est mise à écrire dans les années 65 et suivantes pour lutter contre cela. Curieusement, j’ai écrit des livres où la Belgique était présente, son nom pas toujours nommé, mais elle l’était quand même et très rapidement, elle a été nommée par son nom et je dirais de plus en plus, pour rendre compte de son histoire. «Les bons offices» par exemple, publié en 1974, est un très gros livre, qui se passe pour moitié en Belgique et pour moitié en Palestine et où, il y a une espèce de va et vient, de navette entre un personnage soi-disant neutre, qui est une espèce de « Monsieur bons offices » comme on dit de ces fonctionnaires des Nations Unies, qui sont un peu comme des diplomates humanitaires professionnels, et qui sont censés réconcilier les antagonistes, ce qui est une tâche impossible et un peu paranoïde, qui les dispenserait de réfléchir, de choisir un camp. Peu à peu, Paul Sanchotte, puisque c’est son nom, il s’appelle Sanchotte parce qu’il est à moitié Sancho Panza et à moitié Don Quichotte. Il a à la fois la dimension rêveuse et épique de Don Quichotte, mais aussi le côté pantouflard, le côté fainéant, le côté prudent de Sancho, mais en bon schizophrène, il est un assemblage des deux. Si tu veux, nous sommes mi-Quichotte, mi-Panza, c’est un seul personnage, c’est-à-dire : Cervantes, mais sous ses deux faces. Donc, les «Bons Offices» parlent à la fois de la catastrophe de Marcinelle de 1956, de l’affaire Rosenberg, en 1953 aux EU, parlent de La Palestine, de la guerre des 6 jours, de la guerre du Kippour, du Biafra, avec la dimension africaine du livre etc. Tout cela, dans un beau désordre ; donc, c’est une espèce de grand voyage, où Sanchotte commence à comprendre les palestiniens, le Viêt-nam et tout ce qui se passait ailleurs. Alors, au lieu de tourner le dos à son histoire, c’est en regardant dans le miroir de l’histoire de son propre pays, la Belgique, qu’il finit par saisir certaines données de l’histoire des autres, qui je crois, est une bonne attitude.

GGC : Partageais-tu cela avec un groupe important d’intellectuels belges ?

PM : Non, nous n’étions que quelques-uns et nous ne sommes restés que quelques-uns.

GGC : Nous avons du mal à trouver la «Belgitude», crois-tu cela possible ?

PM : La «Belgitude», j’ai pratiquement inventé le mot avec le sociologue Claude Javeau, on l’a inventé ensemble et ce n’est pas par hasard ; oui, je le crois possible par tout ce que je viens de te dire.

GGC : Dans cette démarche tu as eu alors une certaine solitude, n’est-ce pas ?

PM : Oui, j’en suis encore là aujourd’hui c’est-à-dire, ce n’est pas cent ans de solitude parce que je ne suis pas aussi vieux, mais trente ans de solitude oui ; mais je n’en souffre pas parce que je suis un très grand voyageur. Les écrivains que je considère comme mes frères sont presque tous étrangers, il y a quelques Belges, soit ici ou de la diaspora, parce que beaucoup sont partis, mais surtout, il s’agit des étrangers. Les grandes amitiés littéraires que j’ai eues, c’est dans le monde entier que je les ai rencontrées. Je ne l’ai pas fait exprès, mais pour tout dire, je suis frappé par la frilosité, le retraitisme, le repli sur soi, de beaucoup de mes confrères, même si certains ont vraiment un très grand talent.

GGC : Revenons à l’Amérique latine. Tu as été quelques fois là-bas. As-tu réussi à percer sa réalité dans ces voyages ?

PM : La véritable aubaine, c’était de ne pas visiter l’Amérique latine comme un touriste et je n’y suis jamais allé comme touriste. Ni même en Grèce. Je n’ai toujours pas vraiment visité le Parthénon ou l’Acropole, puisque cela ne m’intéresse qu’à moitié, donc la Grèce que je connais, c’est la Grèce de la répression. Quand j’y suis revenu après le retour à la démocratie, je ne pouvais pas abandonner cette attitude de départ, je continuais d’explorer ce pays avec un œil politique parce que cela me restait collé à la peau. De la même façon, cela va sans dire, avec le Chili, où je suis allé en mission, mais aussi avec l’Argentine où je suis allé en invité littéraire pour la Foire du livre de Buenos Aires, c’est une ville que je n’ai jamais pu visiter autrement qu’avec les préoccupations qui ont toujours été les miennes ; quand je réfléchis au destin de ces pays, je ne cherche même pas à m’en débarrasser.

GGC. : C’est avec ton expérience en Amérique latine que tu as pu confirmer tes perceptions et préparer ainsi ton livre « Terre d’Asile » ?

PM : Cela a été passionnant de devoir visiter ces pays, d’abord avec l’œil du juriste, l’œil froid de l’analyste qui doit faire un rapport technique au retour de sa mission et puis, de s’apercevoir qu’ayant fait ce rapport, il n’est rendu compte que de la partie émergée de l’iceberg et que tout le reste, c’est le romancier qui a dû le dire. C’est une aubaine que d’avoir dû en 76, rédiger un long rapport sur l’état de la répression, la politique de sécurité nationale et ses conséquences : l’exil forcé, la déstructuration et le massacre du capital intellectuel du pays par l’exil forcé, les disparitions, la torture etc. Avoir dû rédiger un rapport là-dessus, avec l’œil froid de l’homme de loi qui visite le pays, c’est le premier aspect. C’est aussi une véritable chance de devoir y revenir par le roman comme dans Terre d’Asile, pour rendre compte au fond de l’essentiel, car c’est dans le roman que j’ai pu le dire. Parce que je crois que la littérature a cette fonction. La littérature dite de fiction parle plus de la réalité que les rapports les plus objectifs, les plus neutres, les plus impavides, elle le fait par une partie de l’imaginaire, par une restructuration romanesque. C’est comme si j’avais fait un film et que l’essentiel du film soit resté dans les chutes et que ce soit dans les chutes que j’aie fait le roman. Je m’aperçois que cela a eu beaucoup plus de portée. Même dans le monde des réfugiés dans la Belgique de l’époque, le roman a eu plus d’effet. Cela les intéressait beaucoup plus que de regarder mon rapport qui, au fond, n’avait rien d’inattendu, il reproduisait une photographie d’une situation qu’ils connaissaient aussi bien que moi et simplement, la vérifiait et apportait un certain nombre d’éléments sur le sort des détenus, dans les grands pénitenciers de Santiago et ailleurs. La stratégie de Pinochet n’apportait pas à ce moment-là, de révélation profonde. Par contre, ayant étudié le comportement de beaucoup de réfugiés que je fréquentais, parfois même indépendamment les uns des autres, je ne me suis pas infiltré dans un groupe plus particulièrement. Je connaissais des réfugiés qui ne se connaissaient pas nécessairement entre eux, mais, que je voyais avec la même camaraderie, en écoutant énormément ce qu’ils disaient, en me souvenant de ce que d’autres exilés d’autres pays exprimaient, qui parfois se ressemblait ou qui parfois était très distinct. Au fond, c’est un roman sur le Chili de là-bas et sur le Chili d’ici et sur la façon dont on pouvait s’intégrer dans un pays comme le mien. Ce livre faisait apparaître toute la dichotomie et la différence de mentalité entre un pays d’Europe occidentale, repu et qui ne s’aimait pas vraiment et un pays dont on a été arraché et qui a été martyrisé, mais qu’on adorait. C’est un portrait un peu cruel, Terre d’Asile est un titre un peu ironique.

GGC : Les années sont passées, l’Amérique latine a retrouvé une certaine sérénité, sagesse je ne le dirais pas, parce que, comme tu le sais, ce continent souffre d’un déficit démocratique endémique. Mais cette relation que tu avais ouverte avec cette autre rive du monde, elle s’est définitivement politisée et est devenue agissante à travers, notamment ce livre ; la maintiens-tu aujourd’hui et à travers quoi ?

PM : Parce que je reste un très grand lecteur de romans latino-américains ; l’approche critique de la littérature reste toujours aussi fidèle. Il n’y a pratiquement pas d’événement de parution importante d’un livre latino-américain, traduit en français auquel je sois attentif, je suis resté une espèce de spécialiste parmi quelques rares autres, mais aussi l’analyse de l’évolution du retour à la démocratie, me paraissent toujours des moments étranges, il était déjà étrange pour la Grèce. Je ne te cacherai pas que le retour pour la Grèce, à la Démocratie en 74, m’est apparu se passer de manière extrêmement frustrante. Justement, parce que nous avions en partie été trop sensibles à la dimension épique du langage anti-dictatorial, et qu’alors, on espérait un réveil spectaculaire de résurrection, théâtral, opératique ; le grand opéra du réveil démocratique, la même chose pour le Chili. Mais comme on le sait, on ne quitte pas une dictature du jour au lendemain pour appartenir à un avenir radieux. On est à la fois déconcerté de façon un peu puérile d’ailleurs.

GGC : Cela t’est arrivé, tout en étant rationnel comme l’homme de droit que tu es ?

PM : Je crois que la littérature n’est pas inséparable d’un sens critique qui appartient aussi aux hommes de loi, c’est en quoi l’homme de loi et l’écrivain se réconcilient. Il y a bien évidemment, de grandes différences, notamment formelles ; mais, je n’aime pas les approches puériles, sans fantasmes et mélodramatiques de la réalité politique des peuples, non pas que la désespérance ne puisse être manifestée, même de façon spectaculaire, certains poètes et journalistes y sont parvenus, mais il n’y a pas de conscience tragique véritable des événements sans un esprit critique toujours en éveil, il faut une vigilance, il faut de l’intelligence.

GGC. : Tu as cité quelques écrivains qui font partie de ce Panthéon des grands personnages de la littérature de l’Amérique latine. Prenons José Donoso.

PM : Donoso je l’ai connu une année de retour au Chili, où nous étions invités à assister à la chute de Pinochet, c’était un congrès en 88, ce genre de colloque moitié académique, moitié chaotique où le sentiment s’exprime aussi bien que l’analyse, dans un grand désordre. Il y a eu même des manifestations, c’était cette période de transition ambiguë, où les gens manifestaient en ville avec des mannequins représentant les disparus (la même chose en Argentine), avec le nom sur le front du disparu, une espèce de fantôme. C’était très émouvant à voir, ces gens qui brandissaient des fantômes, ces manifestations ont été interrompues par la police, avec des chars lance eau. J’ai réussi à voir Donoso, trois heures avant de reprendre l’avion, je l’ai vu très brièvement, mais c’était mieux que rien. Il était très malade, le rendez-vous avait dû être reporté plusieurs fois, soit à cause de lui, soit à cause de moi et c’est parce que je me suis acharné que j’ai pu le voir mais déjà au téléphone, beaucoup de choses étaient passées. Tout était parti d’une conversation sur Casa de Campo, une fable, une métaphore. Je me sentais proche. J’ai trouvé un homme d’un pessimisme relatif, d’une grande mélancolie, pas un homme déçu, parce qu’il n’y avait pas de rancœur, de ressentiment, d’amertume mais il y avait une espèce de désespoir secret. C’était beaucoup plus éloquent. Moi, je n’aime pas l’amertume, l’aigreur. J’entendais bien que ce n’était pas cela qui se passait en lui, mais une espèce de nostalgie du futur. On croit que la nostalgie s’exerce vers le passé mais on peut éprouver une nostalgie de l’avenir. Les Portugais connaissent bien cela, Pessoa a très bien parlé de cela. Donoso ressentait une espèce de regret de ce que l’avenir allait devenir, il entendait qu’il ne tiendrait pas ses promesses.

GGC : En Argentine, as-tu rencontré Ernesto Sabato ?

PM : Oui, d’Ernesto Sabato, je garde le souvenir d’une journée magnifique passée chez lui à l’ombre d’un araucaria centenaire, situation fortement symbolique. C’était un vieil homme admirablement lucide, toujours dans le mouvement, mais désespéré par la maladie de sa femme atteinte d’un cancer en phase terminale. Cet homme était comme pétrifié par la douleur, mais c’était merveilleux de voir que ce grand esthète, ce grand formaliste avait participé pleinement à la rédaction du Livre Blanc sur la répression en Argentine, dénonçant les crimes de Videla avec une sagesse démocratique exceptionnelle. J’ai trouvé en lui, un homme d’une compétence extrême dans la connaissance des faits qui s’étaient passés, dans le factuel, on aurait pu parler de cela pendant des heures. De voir cet homme réfugié dans l’esthétique à la fois comme écrivain et comme peintre, dans cette espèce d’expressionnisme extravagant et assez morbide de son oeuvre, il faut bien le dire, de le voir en même temps d’une telle vigilance civique, j’ai trouvé cela extraordinaire à observer. Il représente pour moi, la sagesse démocratique exceptionnelle, la vigilance civique.

GGC. : Comment tu as fait pour agir et avec qui, pour aider les prisonniers politiques ? As-tu rencontré d’autres gens lors de ces séjours ?

PM : Oui, bien sûr, des juristes, des journalistes, j’aimais bien ces conversations, elles allaient très loin, un langage technique qui donnait aux choses beaucoup plus de force. En juin 76, notamment, j’avais lu dans le Times, que Kissinger allait rendre visite à Pinochet. J’avais conseillé à Amnesty International d’envoyer des observateurs, à ce moment-là, j’avais averti aussi les juristes démocrates, en me disant que c’était le meilleur moment pour y aller, car on n’oserait pas me mettre à la porte, Pinochet avait grand besoin de redorer son blason éclaboussé de sang, faire croire qu’il était moins inhumain que ce qu’on le disait dans la presse internationale. Donc, c’était une bonne occasion pour nous d’aller travailler là-bas et obtenir ce qu’on n’obtenait jamais: entrer dans les prisons, rencontrer les prisonniers dans leur cellules avec leurs avocats, avec un interprète. Et l’on a pu le faire à «Tres Alamos» et à «Capuchinos». On a obtenu ainsi près de 20 libérations; des gens qui sont allés, une fois en Europe, un peu partout : en Allemagne, Espagne, Italie, Belgique, etc. C’était un grand moment, on avait joué au plus fin avec lui. À cette occasion, j’ai rencontré beaucoup de juristes qui disaient qu’il fallait multiplier ce genre de coups, parce que c’est avec ce type d’actions que les catacombes du régime apparaîtraient de plus en plus transparentes et qu’on le forcerait de rendre compte du sort des détenus, des tortures dont ils étaient victimes, de la façon dont les familles étaient systématiquement dissociées, la stratégie de l’exil forcé, les disparitions, etc. Tout cela est venu à la surface ici en Europe et dans le reste du monde, pour beaucoup, grâce aux missions d’observateurs envoyés sur place.

GGC : Que penses-tu de l’attitude de García Márquez en ce qui concerne le castrisme, son silence, l’absence de critique dans ses propos à l’égard des droits de l’homme à Cuba, notamment ?

PM : Je crois qu’on pouvait espérer qu’après l’affaire Padilla, après les révélations du sort réservé à José Lézama Lima et à quelques autres, finalement on y verrait plus clair et qu’on prendrait plus de distance avec le castrisme…
Il y a cette phrase que j’ai toujours retenue et qui a l’air presque inventée tellement elle est jolie, c’est qu’au moment de sa libération en Bolivie, Régis Debray a rencontré Malraux qui lui aurait dit : «Jeune homme, vous vous êtes trompé de continent». Que voulait-il dire ? Évidemment, il y avait le vieux fantasme façon Malraux, sur l’Asie ; celui qui dit que l’Asie détient la clé du monde et que comme Mertenik l’a dit : «quand la Chine éternue, la planète se mouche». Donc, que l’Amérique Latine ne représentait pas cette force, que les événements de l’Amérique latine ne pouvaient pas influencer le sort du monde comme ceux de l’Asie pouvaient le faire. D’abord, on ne fait jamais de comparaison de ce genre, parce qu’il y a là, une telle volonté d’occulter l’Afrique par exemple, qui est catastrophique et qu’on sait que, pour un pays comme le mien, ce qui s’est passé au Rwanda est d’une grande importance. On ne fait pas entre les continents, des espèces de Hit Parade, celui-ci est plus important que celui-ci, c’est un peu infantile, mais enfin, ce n’est pas ce que voulait dire Malraux. Je crois que Malraux, parce que cette phrase est assez énigmatique, voulait dire, que si Régis avait appliqué tout son travail critique comme il l’a fait à travers la fascination pour le «Foquisme» ou théorie du foyer stratégique, censé ébranler les masses populaires et les réveiller à la réalité sociale et politique pour forger leur destin etc. S’il avait fait plutôt le voyage en Chine, il aurait vu, soit la vacuité, soit la nécessité, mais, l’un ou l’autre, c’est pour cela qu’il a écrit ce très beau livre autocritique « La Critique des Armes », il a dû revenir sur ses observations et donc sur son aveuglement castriste. Je crois qu’à partir de l’affaire Padilla, Régis a dû réviser beaucoup de choses bien qu’il ait gardé une espèce de fidélité sentimentale, il déteste les gens qui se retournent complètement.

GGC : D’après toi, García Márquez aurait dû faire la même chose ?

PM : D’après ce que j’entends dire et d’après l’autobiographie, c’est à peu près cela qui se passe. C’est comme si des hommes à un moment de leur histoire disaient, si je renie tout cela, j’aurai vécu pour rien. Je crois que dans « Loué soit le Seigneur », très beau livre de Debray, il y a à la fois une critique assez virulente, assez drôle et sarcastique de Castro, mais pas un abandon radical de ses principes politiques, il fait plutôt, une espèce de condamnation nuancée. Personnellement, je ne trouve pas cela méprisant. Je trouve cela assez loyal et assez honnête, et comme il faut bien faire la part des choses, c’est un moteur de discussion. Je crois qu’il a pu faire cela, pour obtenir des libérations à Cuba. J’aurais plutôt une grande confiance dans un homme comme Debray. Je crois qu’il a été bassement attaqué en France parce qu’il n’a pas eu le comportement d’un philosophe de salon. Il a payé de sa personne, sur place, avec enthousiasme, passion, intelligence certaine. C’est possible qu’il se soit aveuglé à certains moments mais on ne peut pas jeter comme cela, l’eau et le bébé avec l’eau du bain.

GGC : A nos yeux, un questionnement historique nous semble parfaitement nécessaire; rendre ainsi compte de tant d’années de parcours équivoques pour justement changer de cap, nous responsabiliser et repartir. Mais, comme on le sait, il y a parfois des changements qui sont néfastes mais encore, des non-changements qui sont doublement néfastes. García Márquez, Vargas Llosa, Scorza, Cardenal, Galeano, Roa Bastos et tant d’autres, sont des personnages qui ont accompagné notre évolution, notre imaginaire, notre conscience, mais aussi, ils ont appuyé fortement un certain discours qui aujourd’hui apparaît comme obsolète. Comment perçois-tu cela ?

PM : J’observe que quand une génération a été presque trop vivante, elle franchit rarement le cap du passage de relais. Prenons par exemple le nombre si important de romans sur la dictature qu’a produit la littérature L.A. des années 60 et 70, avec des personnages si extraordinaires et qui va de Carpentier à Scorza, Roa Bastos, García Márquez etc. On dirait qu’une fois que tout cela a été assuré, nommé et qu’il y a un retour à une certaine sérénité, cette sérénité c’est un peu comme un demi-sommeil. Je pense à la Grèce notamment, à cette espèce d’enfoncement dans un provincialisme qui est probablement une transition vers autre chose, qu’en tous les cas, il faut espérer. Tout se passe comme si on attendait d’une autre génération, des gens qui vont avoir une autre histoire, de prendre le relais. C’est comme si on ne pouvait pas vivre durant toute une vie, toute l’épopée de son pays. Comme si ayant beaucoup donné dans une lutte, on n’avait plus assez de souffle pour la suite du voyage. On aperçoit ce phénomène chez beaucoup de contemporains, dans la littérature grecque notamment, mais aussi dans l’italienne, celle qui a accompagné le compromis historique. Gianni Moretti par exemple, est le représentant d’une intelligentsia inédite, cela ne ressemble pas aux intellectuels italiens antérieurs tels que Moravia, Buzzati etc; Moretti possède un autre langage.

GGC : Ne te semble-t-il pas qu’en Amérique latine avec la disparition d’Octavio Paz, il y a comme une grande absence dans ce domaine ?

PM : Je me garderai bien de le dire car je ne suis pas assez au courant de ce qui se passe à présent dans le domaine intellectuel.

GGC : On est un peu dans le creux ?

PM : Ça dépend, en Europe, on est devenu beaucoup plus individuel, il y a beaucoup moins de place pour les mouvements, les mouvements esthétiques, ce phénomène de groupe, c’est pratiquement terminé. Maintenant les gens sont seuls et ils font leur route à peu près seuls, ils ne veulent pas se réunir en club, en lobby, ne veulent pas fraterniser vraiment, ils préfèrent travailler dans leur coin, mais il y a de riches individualités tout de même.

GGC : Cela te manque ?

PM : Il n’est pas mauvais qu’il y ait une transition pour reprendre son souffle. J’imagine mal qu’on vive tout le temps, dans une espèce de prise en charge automatique, mécanique. Évidemment, cela me manque objectivement, mais, je ne m’en inquiète pas trop et je me dis qu’à tout moment cela peut surgir. Il est normal que dans un retour problématique à la démocratie, comme en Argentine et au Chili, il y ait comme un manque d’exaltation parce que ce sont des moments qui suscitent moins, hélas, l’imaginaire que les moments graves. Alors, cette espèce d’ambiguïté chilienne actuelle ne doit pas être très inspiratrice, je ne m’en étonne qu’à moitié. Il faudra que des esprits aigus et plus subtils prennent le temps pour bien analyser et rendre compte plus tard, mais, certainement, il faudra plus de temps que dans la situation dramatique, car c’est beaucoup plus difficile d’analyser une démocratie qu’une vraie dictature. Il faut de l’intelligence pour cela. La dictature, on peut l’affronter avec innocence, avec tempérament.

GGC. Qu’en penses-tu des gens tels que Isabel Allende, Antonio Scármeta, Luis Sepúlveda, Marco Antonio de la Parra, cette génération post-boom, chilienne?

PM : Aujourd’hui les équivoques de la situation à Santiago ne m’inspirent pas vraiment, je veux pourtant croire qu’il y a des intellectuels qui rendront compte de ce qui se passe à présent. Isabel Allende, je ne te cacherai pas qu’elle ne m’intéresse pas du tout, cela aurait pu être écrit n’importe où et cela ne rend compte en rien de ce que j’attends qu’on me dise du Chili ou de l’Amérique latine. Scármeta, par contre, c’est autre chose, c’est un bel esprit subtil, drôle, touchant, c’est peut-être un écrivain un peu en retrait par rapport aux grands noms que nous avons évoqués, mais qui je crois, possède une originalité puissante ; c’est l’un des plus importants sur le plan littéraire. Sepúlveda, je ne le connais pas assez et il ne suscite pas vraiment ma curiosité. Par contre Coello, le brésilien, c’est du kitch absolu, succès cosmopolite, il est parfaitement inoffensif.

GGC : Certains pays d’Amérique latine restent pour toi, des ports d’attache, lesquels?

PM : Toujours les mêmes: le Chili, l’Argentine, le Pérou. D’autant plus que ma curiosité est plus éveillée puisque la situation est de plus en plus opaque, que beaucoup de commentaires de l’intelligentsia latino-américaine sont contradictoires, moins clairs, qu’ils ont perdu en radicalité, ce qui est une bonne chose ; mais ils me semblent parfois pleins de doutes, d’incompréhensions, ils avouent un certain désarroi. Tout ça me rend le continent latino-américain comme une sorte de laboratoire qu’il sera fort intéressant de visiter les années qui viennent. Il s’y passe beaucoup de choses mais beaucoup plus difficiles à percevoir, elles sont comme des micro-éléments. Ce serait suicidaire de ne pas y être attentif.

GGC : D’autres pays tels que le Brésil ou le Mexique, ne t’intéressent pas ?

PM : J’ai eu plusieurs fois l’occasion d’aller au Brésil mais il y a eu chaque fois une sorte de malédiction qui a fait que je n’y ai jamais mis les pieds. C’est un tout autre pays, une toute autre réalité, il faudrait s’y adonner. Le Mexique, j’ai l’impression que je pourrais me passionner.

GGC : On peut dire que tu sens toujours comme un appel de la part de ce continent?

PM : Oui et ce n’est pas dans des préférences géographiques. Ce qui se passe en Haïti, c’est capital, on a tort de sous-estimer cette situation, à part les Français, personne n’en parle. Les chauffeurs de taxi à Bruxelles en parlent beaucoup et ils sont effarés de l’absence totale de curiosité que cela suscite chez nous. Autant de gens qui vont dans les Caraïbes pour des vacances, alors qu’au même moment, il se passe des choses dramatiques, c’est choquant.

GGC : Regrettes-tu cette absence d’informations sur l’Amérique latine ?

PM : Oui, puisqu’il n’y a plus de grands journalistes français, anglais ou allemands qui suivent les événements, c’est parce qu’on envoie de moins en moins de correspondants sur place. Avant on avait certains noms, tels que : Marcel Niedergang ou Pierre Kalfon ou encore d’autres.

GGC : Mais, reviendras-tu en Amérique latine?

MP : J’en suis convaincu…

GGC : Merci, Pierre

2004-04-06

 

masdelautor

 

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Requerido.

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